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Le panier
producteurs vs grande distribution

Produire et vivre

Publié par Armand Heitz le

Quand avez-vous acheté de la viande en supermarché la dernière fois ? Combien l’avez-vous payé ? Qui avez-vous payé ? Quels sont les intermédiaires entre le producteur et vous-même, consommateur final ? Et sur les 10 euros payés pour votre bavette, combien sont allés à l’agriculteur directement, hors charges ?

Armand Heitz, ferme en polyculture élevage en Bourgogne

Ça fait beaucoup de questions, certes, mais on a tendance à éviter ces interrogations et à détourner les yeux au profit de son assiette, tout en sachant sans l’avouer que bien souvent l’origine de la viande en supermarché reste peu transparente voire douteuse. Si vous vous posez ces questions malgré tout, vous cesserez rapidement d’acheter de la viande en grande distribution. Et si vous finissez par vous poser cette question sur tous vos aliments, vous cesserez probablement d’aller en grande distribution.

C’est facile de dire ça, certes. Se fournir chez les producteurs locaux et faire vivre le circuit court demande quelques efforts. Le budget est un premier frein. Mais surtout, il faut prendre du temps pour le faire. Et c’est à ce moment précis que vous vous rendez compte du non-sens du système actuel.

L’argent n’est pas chez les producteurs, surtaxés et accablés de normes au point qu’ils peuvent difficilement faire compétition aux géants du commerce. L’argent est chez tous ces intermédiaires qui sous prétexte d’ajouter une pierre à l’édifice de la surconsommation vont se gaver au passage.

Armand Heitz, producteur de vins à Chassagne-Montrachet et fermier à Saint-Martin-de-Commune

Cet article n’a pas vocation à nier l’intérêt des intermédiaires de manière générale. Il faut parfois des maillons pour apporter un produit au consommateur, et de la même manière que mes agents en France prennent un pourcentage sur chaque bouteille vendue, il est normal que chaque travail soit valorisé.

Mais est-ce bien normal que ces éléments secondaires, qui participent à la distribution et la promotion du produit mais nullement à son élaboration et tous les coûts que cela engendre, est-ce bien normal qu’ils récoltent davantage des fruits de la vente que les producteurs ? Et ce bien souvent tout en imposant des prix toujours plus bas, en tirant la qualité malgré eux vers le bas et en imposant un rythme de production indécent pour satisfaire le marché dans toute sa décadence ?

Nous pouvons d’ailleurs élargir cette logique de non-sens à d’autres secteurs. Les artistes les premiers génèrent bien souvent plus d’argent pour d’autres que pour eux. Les footballeurs eux-mêmes sont plus rentables pour les industries à qui ils prêtent leur image que pour eux-mêmes, et ce même en gagnant des millions d’euros.

Séminaire avec les agents du domaine au Château de Mimande

Ces questions sont d’autant plus générales qu’elles sont nécessaires dans un monde où un agriculteur seul ne peut pas vivre décemment de sa production. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai intégré dès 2018 une équipe commerciale dans l’entreprise, par nécessité de se développer et de garder le contrôle sur mes débouchés et mes intermédiaires, pour être sûr que mes produits ne seront pas dénaturés par des maillons non nécessaires et peu scrupuleux.

Il me semble plus que prioritaire aujourd’hui de revoir ce système global, d’autant plus dans un monde nécessiteux de renouer avec ses territoires dans l’épreuve climatique à venir. Cela passe naturellement par une meilleure redistribution des revenus aux gens qui travaillent ces territoires, qui veulent les entretenir, les pérenniser. Les paysans sont depuis toujours responsables de l’harmonisation de l’homme et de la nature dans le but de nourrir l’homme. Mais cela ne se fait pas sans moyens, et ce ne sont pas les commerciaux qui vont permettre la sauvegarde des terres agricoles.

Ainsi, dans un monde où le confort et les voyages sont les premières sources de dépenses des ménages, il serait temps de remettre en question son environnement et de se rendre compte que les appareils high-techs à base de métaux rares ne nourriront pas nos enfants. Je milite pour revenir à l’essentiel, et cela passe naturellement par des dépenses plus justes pour des produits alimentaires de qualité vertueux pour tout-un-chacun.

Masanobu Fukuoka, agriculteur japonais, un des pères de la permaculture

Je conclurai juste par cette citation très (trop) juste de Masanobu Fukuoka, un des pères de la permaculture :
« Le paysan ne réalise pas qu’il est devenu uniquement un facteur dans l’équation de l’accroissement de la vitesse et de l’efficacité de l’agriculture moderne. Il laisse le vendeur d’équipement agricole faire tout le calcul pour lui.
Ainsi pour l’agriculteur dans son travail : sert la nature et tout ira bien.
L’agriculture est un travail sacré. Quand l’humanité perdit son idéal, l’agriculture commerciale moderne surgit.
Quand le paysan commença à faire pousser les récoltes pour faire de l’argent il oublia les principes réels de l’agriculture. »

Armand Heitz

 

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