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Homère l'Iliade poésie du vin

Homère, ô vin divin !

Publié par Armand Heitz le

Vous vous souvenez de la guerre de Troie ? Cette guerre qui a opposé les grands rois grecs, les Achéens Agamemnon, Ulysse, Achille, aux Troyens Priam, Hector et Paris est le sujet de l’Iliade d’Homère, qui raconte quelques derniers jours de dix ans de luttes ardentes au pied des murailles troyennes. Mais ce n’est pas qu’un immense chant de bataille, c’est une ode au plus divin des nectars ! Comme de nombreux auteurs de l’Antiquité, Homère — Vinos Homerus, disait Horace — a chanté le vin. Sa poésie est tellement puissante et belle qu’elle palpite encore à nos oreilles.

« autour du mort, le sang coulait par coupes entières. » (XXIII, 34)

Il y a  deux mille ans on buvait bien différemment d’aujourd’hui : le vin était mêlé à de l’eau dans un cratère, dans lequel il était puisé avec une coupe. Plus la part de vin est grande, plus l’hôte – ou l’instant – est honoré. Au chant 10, pour rétablir le guerrier Machaon blessé, Nestor lui fait préparer un kykeon, subtil assemblage de miel, de blé, de fromage râpé, d’oignons et de vin.
Dans l’Iliade le vin soigne, restaure, redonne courage, rassemble après chaque jour de bataille, et l’ivresse est moquée. Il est aussi lien avec le divin : aucun repas ne commence sans libations aux dieux, le vin est jeté au sol ou dans les flammes. Grosse colère de Zeus lorsqu’il ne reçoit pas les offrandes ! Et sur le mont Olympe c’est comme chez les mortels. Au chant premier, Héphaïstos, dieu des flammes et maître de la forge divine, est de service :

« Lui, cependant, servait les autres dieux sur sa droite,
versait le doux nectar qu’il avait puisé d’un cratère. » (I, 597-98)

Armand Heitz en Zeus au verre de vin

Ses grâces, ses bienfaits sont cristallisés dans la personne d’Achille. Je n’ai rien inventé de ce qui va suivre, tout est dans le texte d’Homère. Dès les premières pages, Achille est en fureur : en grand désaccord avec Agamemnon, il a remballé ses Myrmidons et refuse de revenir au combat. Tout saturé de colère et d’une grande sagesse, il n’entre au combat qu’au vingtième chant mais l’Iliade tout entière brûle de son absence ! Sa mère — Thétis, immortelle Néréide — l’a « nourri comme un plant au flanc du vignoble » : une vigne ! Phénix, son précepteur, l’a initié au vin alors qu’il sautait encore sur ses genoux. Il est le plus fort des Achéens, invincible, indomptable, il ne cède jamais aux prières d’Ulysse, de Nestor et des autres, c’est la mort de son adoré Patrocle qui le ramène au combat.

Illustration du combat de l'Iliade avec Achille

À la demande de Thétis, Héphaïstos lui façonne de nouvelles armes. De la forge divine sort le bouclier légendaire tout mêlé d’or et d’argent, de bronze et d’étain. Dessus, le dieu forgeron a ciselé la scène idyllique d’un « vignoble chargé de grappes nombreuses, d’or, splendides. » Au son chantant d’une lyre,

« un seul sentier menait à la vigne,
par où passaient les porteurs à la saison des vendanges.
Des jeunes filles, des jeunes garçons aux pensées délicates,
dans des corbeilles tressées, portaient le fruit désirable. » (XVIII, 365-68)

Alors qu’il ne veut ni boire ni manger avant d’aller combattre parce qu’il pleure encore Patrocle et ne connait plus que l’urgence d’aller massacrer les Troyens, Zeus s’émeut, envoie Athéna :

« elle versa le nectar et l’ambroisie désirable
dans la poitrine, sauvant ses genoux de la faim désolante. » (XIX, 353-54)

À ma gauche donc, Achille le Grec, nourri de la terre et des cieux, celui qui a bu le nectar et grandi comme la vigne, immense, très beau (il porte à tout jamais les traits de Brad Pitt malgré cette vilaine adaptation cinématographique de 2004), qui brille d’un éclat céleste, de colère noire. À ma droite : Hector le Troyen. Et l’Iliade ne semble plus qu’une très grande cathédrale sublime qui doit contenir et rehausser le combat qu’ils vont se livrer. Hector qui a tué Patrocle sans grandeur dans le geste, lui, n’a pas bu le vin.

« Ne me tends pas le vin miel de l’âme, ô ma mère vaillante,
n’écarte pas l’ardeur de mon corps, j’en perdrais mon courage.
Les mains sales, je n’ose verser le vin fauve en offrande
au Cronide : qui s’est souillé de sang et de terre
ne priera pas le Cronide Zeus aux sombres nuages ! » (VI, 264)

L'iliade d'Homère, poésie du vin et du divin

Grave erreur ! Car les dieux se repaissent du spectacle des hommes, de leurs offrandes et du sang versé. Grave erreur, car les hommes se nourrissent des fruits de la terre, bienfaits divins. Alors Hector meurt sous la lance d’Achille. Il a refusé le vin d’Hécube, sa mère qui le pressait de reprendre des forces et d’offrir des libations aux dieux, parce qu’elle savait, elle, qu’on ne peut pas être seulement humain pour gagner la bataille.

 

Blandine Bacconnet

Photographies : @jibpeter

Les citations sont extraites de L'Iliade, traduction de Philippe Brunet, éditions du Seuil, 2010.

 

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