L'eau ou la retraite, un choix cornélien
Publié par Anne-Astrid Heitz leC’était beau, émouvant même, cet élan des milliers de français descendant dans la rue ces dernières semaines, inquiets pour le climat et le manque d’eau dans notre pays. Ah non, en fait, c’était pour une histoire de retraite. L’eau, cette ressource vitale en situation critique, ne bénéficie pas de la même attention qu’une réforme plus ou moins injuste mais totalement inévitable. Pourtant, la rareté et la qualité de cette ressource sont des enjeux cruciaux, qui devraient susciter bien plus de débats passionnés et d'actions concrètes.
En effet, nous sommes en mars et il n’y a quasiment pas eu de pluies importantes cet hiver à tel point que les nappes phréatiques, nos réserves d’eau douces vitales pour le fonctionnement de notre agriculture comme des piscines individuelles qui pullulent et remontent depuis la côte d’Azur, sont au mieux à un niveau proche de la moyenne et globalement à un niveau proche de zéro.
Aujourd’hui, l’eau est un acquis pour une très grande majorité de la population. Nous avons tous de l’eau potable à volonté dans nos robinets, comme si cela tombait du ciel. Paradoxalement, nous n’avons jamais été dans une situation aussi catastrophique. La quantité d’eau douce sur le territoire après plus d’une demi-année de sécheresse quasi ininterrompue est très faible. La qualité est médiocre après des années à utiliser des pesticides nocifs, à multiplier les décharges sauvages et à laisser les industriels déverser toutes sortes de déchets toxiques pour l’ensemble du vivant dans les cours d’eau en faisant semblant de n’avoir rien vu.
La vigne est une plante très résistante à la sécheresse. Ce n'est pas pour rien qu'elle se cultive depuis des siècles dans les régions méditerranéennes sans la moindre irrigation. Cependant, le changement climatique et surtout la sélection actuelle de plants fragiles et sensibles tendent à rendre les vignes bientôt dépendantes de l’irrigation. Cette pratique a été autorisée par un décret en 2006, mais interdite entre le 15 août et la récolte. Le ministère de l’Agriculture a annoncé récemment que le Code Rural va être réécrit dès cette année afin d'annuler cette interdiction.
Comme souvent, quand il faut faire des mauvais choix, les politiques sont meilleurs que les agriculteurs. Ce sont les pouvoirs publics qui ont encouragé l'irrigation des vignes dans le sud de la France. Il y a notamment eu le méga-projet Aqua Domitia, permettant d'acheminer les eaux du Rhône vers le sud du Languedoc dans le but de « développer une agriculture et une viticulture de qualité et compétitive ». Comme je l'évoque régulièrement, adapter le matériel végétal me semble beaucoup plus naturel et durable.
La filière brassicole en revanche est connue et décriée pour sa consommation d’eau et est paradoxalement plus gourmande en eau quand elle est à plus petite échelle. En effet, il est plus simple pour une brasserie massive comme Heineken de rationaliser sa production et sa consommation d’eau, notamment avec l’utilisation d’un concentré de bière dilué par exemple. 1 litre de bière peut demander entre 2 et 11 litres d’eau juste dans sa production qui compte tant la matière première qui va s’évaporer en partie que de l’eau qui va servir à nettoyer après brassage. Si l’on compte maintenant les quantités d’eau utilisées pour les céréales et toutes les étapes intermédiaires, les estimations vont de 75 L à 1500 L pour 1 L de bière.
Vous l’aurez compris, c’est massif, et c’est pourquoi les brasseurs artisanaux qui se montrent souvent préoccupés par les problématiques environnementales et locales doivent considérer leur consommation en eau et la rationaliser à tout prix pour être à la hauteur des enjeux actuels.
Plus généralement, les politiques de gestion de l’eau sont simplement catastrophiques. On en arrive à interdire d’arroser aux agriculteurs avant d’interdire aux particuliers de remplir leurs piscines qui se multiplient et vident nos ressources. Par ailleurs, en justification d’une meilleure gestion, le gouvernement va continuer de construire des barrages sur des zones humides, des écosystèmes fragiles et nécessaires à l’équilibre naturel comme à Sivens en 2015.
En finalité, la gestion de l’eau est aujourd’hui incontournable qu’importe l’échelle et le milieu. La fin de l’abondance de cette ressource qu’on croyait acquise pourrait effectivement approcher si les politiques continuent à faire l’autruche. Les chiffres parlent d’eux même, la date d’échéance est, comme toujours lors des problématiques environnementales, bien plus proche qu’on ne le pensait. Vivement la retraite, sans eau potable !
Armand Heitz