Dans la bière, il y a des céréales mais pas que… il y a du houblon aussi
Publié par Armand Heitz leBlé, seigle, sarrasin, houblon et fûts de chêne : après de longs mois en rupture car victime de leur succès, ça y est, mes bières sont enfin disponibles ! Les trois objectifs majeurs de mes bières étaient de :
- sortir de l’affreuse appellation blanche, blonde, brune
- sortir de la culture de céréales intensive et consommatrice d’intrants
- intégrer cette production de manière vertueuse avec mes autres activités
La bière houblon est la nouveauté de cette gamme. Ingrédient majeur dans la production de bière, je vous propose que l’on retrace son histoire et je vous présenterais ensuite comment j’ai choisi de faire ma bière au houblon.
Le houblon est utilisé de manière régulière dans la bière depuis le XIIIème siècle. Avant cela, il était utilisé dans la bière de manière sporadique en fonction de s’il poussait naturellement autour du lieu de production ou non. Une bière sans houblon est appelée un gruit ou une cervoise, en référence à ces bières infusées avec les plantes aromatiques à disposition des brasseurs. Le houblon s’est imposé pour ses propriétés antioxydantes, antibactériennes et ses agents conservateurs.
Selon le temps et la température d’infusion dans la bière, il va amener de l’amertume, des arômes et des acides alphas en propageant sa résine et ses huiles essentielles. En dehors des styles qui vont faire la part belle au houblon comme les IPA et leurs nombreuses déclinaisons, il n’apportera que très peu de caractère à votre breuvage. Les Stouts, les Sours, les Wild ales, les Barley wines, les Porters, les Lagers sont très peu dépendants du houblon. Au contraire, ils dépendent majoritairement des céréales et des levures.
De nombreuses brasseries tentent ainsi de s’en passer en faisant ces fameux gruits à base de plantes locales comme La Montagnarde, Blue Donkey, Beerserk, Les Brasseurs Cueilleurs. Mais pourquoi vouloir s’en passer ? Les brasseurs sont très souvent inscrits dans une démarche locale. Or, aujourd’hui, il n’est pas évident de trouver du houblon en Europe. Américains, Néo-Zélandais, Australiens et Japonais sont les plus gros producteurs. Comment en est-on arrivé là ?
Le vieux continent a d'abord peiné à rentrer dans la mode de la bière craft et s’est longtemps reposé sur ses traditions brassicoles n’impliquant pas le houblon. Alors que les Américains menaient leur révolution du houblon et cherchaient à développer des bières houblonnées toujours plus aromatiques, les Européens ne comprenaient pas que cette mode n’était pas passagère. Une politique forte de brevets était appliquée sur tous les hybrides intéressants de telle sorte qu’une concurrence internationale sans merci s’est livrée depuis les années 90 sur la découverte de nouvelles variétés.
La France n’a pas soutenu les houblonnières alsaciennes et l’Europe accuse désormais un retard énorme sur le nouveau monde de la bière en termes de production de houblons aromatiques. Aujourd’hui nous assistons à la renaissance du houblon français avec la barbe rouge, le cascade ou le columbus mais l’âge d’or du houblon français est soit loin derrière nous, soit loin devant nous.
Afin d’être cohérent avec des valeurs locales et artisanales, le sourçage des matières est devenu un critère important pour les brasseurs. Avec Brasserie de France, nous avons pu sélectionner le houblon magnum cultivé par la Houblonnière du Château sur la commune de Corberon, à 10 km seulement de la brasserie, impossible de faire plus proche. Houblon très subtil aussi bien sur l’aromatique que sur les amers il correspond exactement au style et à l’équilibre aromatique que je défends et que j’affectionne.
Que ce soit en architecture, en œnologie, en cuisine ou pour mes bières, je défends l’équilibre, l’harmonie et la finesse. Une enseigne lumineuse, un boisé trop marqué, un assaisonnement trop fort ou une aromatique trop intense peuvent attirer sur un court moment l'œil ou le palais mais ces marqueurs n’ont aucune esthétique ou subtilité durable.
Évidemment, le changement climatique passe par là et met à l’épreuve les nouveaux exploitants français à tel point que la récolte 2022 a été divisée par 2. Il reste donc encore beaucoup de chemin pour que la filière du houblon soit équilibrée entre l’offre, la demande et les aléas climatiques. J’ai engagé sur mes vignes et ma ferme un travail colossal afin que celles-ci nécessitent moins d’intrants et puissent se défendre face aux épisodes caniculaires. C’est avec la même philosophie que je souhaite travailler mes bières et mes sélections de houblons.
Comme je le dis souvent, adaptons notre manière de brasser plutôt que de chercher à lutter contre la nature.
Armand Heitz
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