Le millésime 2022
Publié par Armand Heitz leLa tendance, sur les dernières années, est plutôt aux millésimes solaires avec des périodes caniculaires ; 2022 en est un exemple. Le réchauffement climatique standardise les vins, gomme le talent du vigneron et donne des vins plus ronds mais en même temps moins fins. Un des enjeux sur ce type de millésime consiste à maintenir la finesse et la fraîcheur. Bien que la vigne soit une culture parmi les plus résistantes à la sécheresse et à la chaleur, je travaille quotidiennement afin d’anticiper l’impact du réchauffement climatique sur les cultures.
Reprenons plus en détail le déroulement de ce millésime et comment j’ai adapté mon travail avec dame nature. Tout d’abord, le gel a épargné nos vignes au printemps. Ce fut un soulagement important après les pertes colossales de 2021. Au domaine, j’ai organisé les chantiers de taille d’hiver afin de l’effectuer en deux étapes. La première partie a été faite de novembre à février. Puis la seconde partie a été effectuée aux plus proches des gelées de printemps et même après pour les vignes les plus sensibles. Ainsi, nous avons retardé de quelques jours le débourrement des bourgeons fructifères. Quelques jours peuvent sembler dérisoires mais face à des gelées de printemps, cela permet de sauver de précieux hectolitres de vin
Sur la période végétative, soit du 1er avril au 30 septembre 2022, nous avons eu une moyenne de 19,2°C contre une normale en Bourgogne à 16,4°C. L’écart de 2,8°C est énorme et illustre bien l’impact du réchauffement climatique. Ma philosophie est de toujours essayer de trouver du positif à une situation. Cette météo méditerranéenne a permis à la vigne de pousser très rapidement aux stades où elle est très sensible à la maladie. Je n’ai donc eu besoin que de très peu de traitements. Même avec un millésime comme celui-ci, je reste un fervent défenseur des cépages hybrides et résistants qui pourraient permettre à nos vignobles de réduire drastiquement leur dépendance aux intrants.
Parler c’est bien, agir c’est mieux ! La diversité, c’est la vie ! Au domaine, pour élaborer mes différentes cuvées de blancs, je cultive du Pinot Gris, Pinot Blanc, Voltis, Souvignier Gris, Sauvignon, Melon de Bourgogne, Chardonnay et de l’Aligoté. Pour aller jusqu’au bout de cette philosophie, j’ai même fait une cuvée strictement interdite avec du Noah. En rouge, le cahier des charges laisse moins de souplesse, je cultive donc seulement deux cépages : Pinot Noir et Gamay.
Au niveau des précipitations, du 1er janvier au 30 septembre, nous avons seulement eu 364 mm; soit 160 mm de moins que la norme bourguignonne. L’eau, c’est la vie ! Sans eau, il ne pousse rien et le cycle de l’eau est cassé. Nombreux sont ceux qui s’imaginent que l’eau vient du ciel. C’est faux ! La pluie vient du sol. Il suffit de regarder le schéma du cycle de l’eau que nous avons appris à l’école primaire.
Dans les années 1960, nous avons détruit d’énormes surfaces bocagères ou sauvages au profit d’une agriculture intensive. Les haies, les forêts, les friches étaient d’importantes sources d’humidités bénéfiques à l’évapotranspiration. Afin de lutter contre cet assèchement des sols, j’ai investi dans une ferme en polyculture élevage. Qu’on le veuille ou non, la ferme en polyculture élevage est un modèle agronomique. D’un point de vue diversité, autonomie et résilience, cette agriculture a fait ses preuves depuis des milliers d’années alors que l’agriculture intensive a détruit notre planète en 60 ans.
Dans mes vignes, je travaille pour apporter autant de diversité et d’autonomie que dans ma ferme. Je plante des arbres, j’entretiens des haies et je sème de la féverole, du trèfle, du colza, des radis, de la moutarde, de la luzerne, du seigle, du sorgho et même du chanvre. En 2022, afin de pallier au manque de pluie et aux fortes chaleurs estivales, j’ai dû supprimer l’enherbement permanent dans certaines parcelles afin de préserver les vignes. J’ai réintroduit ces couverts végétaux en automne.
Ce millésime confirme que mon essai de paillage avec écorces de bois donne d’excellents résultats sur coteaux ou sols peu profonds. Ma parcelle de Chevalier-Montrachet, jusqu’en 2019 était celle qui souffrait le plus de stress hydrique. Ce stress aboutissait à une faible vigueur, une maturité très précoce et des rendements trop faibles. Une seule année aura suffi pour que la vigne regagne de la vigueur grâce au paillage avec des écorces. C’était la parcelle la plus précoce du domaine, aujourd’hui je la récolte une semaine après le début des vendanges.
Après un été chaud et sec, il faut être vigilant pour savoir quand attaquer les vendanges. Je n’aime pas prendre de vacances en août. C’est comme si je partais de la cuisine alors que je suis en train de cuire un morceau d’onglet. J’ai des parcelles qui mûrissent vite et d’autres moins. Grâce à un gros travail d’organisation, nous arrivons sur 3 semaines à vendanger les chardonnays et autres cépages blancs, puis les pinots, puis les gamays pour finir avec les aligotés et sauvignons. Grâce à ce travail, nous arrivons à rentrer des raisins sains et équilibrés.
En cuverie, la philosophie est la même depuis mon premier millésime. Le terroir doit s’exprimer avec le moins possible d’intervention et de maquillage. Pour les blancs, pas de sulfite, débourbage après 12 h, début de FA en cuve puis à mi FA, entonnage. Avec des faibles teneurs en acide malique, pas de sulfites et des températures ambiantes estivales, la FML s’enchaîne rapidement. Cet itinéraire naturel me permet de profiter du froid hivernal pour stabiliser tartriquement les vins.
Pour les rouges, mon credo est celui de la vendange entière. J’ai un érafloir mais je pense que je vais le vendre car je ne m’en suis quasiment jamais servi. Les trieuses optiques et consorts valent une fortune et me donnent la nausée. Emmanuel Reynaud encuve ses Grenache avec une pompe à vendange des années 80 et fait les vins parmi les plus recherchés du monde. Après encuvage, la règle c’est très peu de pigeage, très peu de remontage, très peu de chaud, très peu de froid, je laisse la cuve fermenter avec la température ambiante. Il ne faut extraire que les tanins les plus élégants. Cet itinéraire permet d’obtenir des vins fins, élégants, complexes, avec un joli potentiel de garde mais surtout ultra authentiques.
À l’heure de la présentation aux journalistes et à nos clients, je suis très fier du travail accompli en 2022. Je trouve les vins très qualitatifs et ce d’autant plus que j’ai respecté une éthique engagée. Blancs et rouges sont équilibrés, l’intensité aromatique est précise et complexe. En bouche, le volume est incroyable et l’extraction maîtrisée avec grande précision.
Bonne dégustation
Armand Heitz
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