Le Nouveau Beaujolais ou la fin de l’œnologie moderne
Publié par Armand Heitz leLe Beaujolais Nouveau est un paradoxe. Il a fait la renommée des vins du Beaujolais, assez peu connus avant les années 50 en dehors de la région lyonnaise. Traditionnellement dégustés dans leur jeunesse afin de profiter de leur caractère délicieusement fruité, il est resté fidèle à ces valeurs. Jusque dans les années 2000, le vin a profité de cette fête avant que le phénomène n’entraîne une perte d’appétence pour ce vignoble. Que s’est-il passé ?
Le 8 septembre 1951, un arrêté paru au Journal Officiel indique : "les producteurs n’étaient autorisés à faire sortir de leurs chais les vins de la récolte 1951 bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée qu’à dater du 15 décembre 1951". Jusqu’alors, il n’y avait pas vraiment de législation concernant la date de commercialisation des vins. Un grand nombre de vignerons, et notamment du Beaujolais, s’insurgent contre cette décision. Ils ont pour habitude de vendre une partie de leur production avant cette date et demandent à pouvoir continuer ainsi. Demande acceptée le 13 novembre 1951.
C’est à partir de là que le Beaujolais Nouveau est né, mais c’est surtout dans les années 80 et 90, avec notamment l’impulsion de George Duboeuf, qu’il a pris son envol. Fixé au troisième jeudi du mois de novembre en 1985, c’est devenu une véritable fête populaire aussi bien en France qu’à l’étranger. Mais la réussite amène toujours des frustrations et des jalousies par ailleurs. Le Beaujolais Nouveau est moqué, on lui trouve le fameux "goût de banane", etc. Je pense pour ma part que c’est un vin très intéressant d’un point de vue œnologique et gustatif.
Je travaille quotidiennement pour produire des vins, des légumes et de la viande de qualité, de manière vertueuse. Beaucoup de consommateurs souhaitent des aliments toujours plus sains. Quoi de plus sain que de boire un vin tout juste fini de fermenter ? Au final, c’est ainsi qu’il est le plus stable naturellement, avant que l’oxydation ne l’emporte à l’état de vinaigre. Nous n’aurions pas de SO2, ni de moyens modernes de mise en bouteille, nous serions contraints de boire toute l’année un équivalent de vin nouveau.
Fraîchement fini de fermenter, il est très courant de ressentir une légère effervescence au palais. C’est tout à fait naturel. C’est simplement le CO2 résiduel des levures et des bactéries qui ont fini de fermenter. C’est un atout car il va permettre d’inerter et protéger le vin contre le phénomène d’oxydation. Auriez-vous préféré qu’on le dégaze avec de l’azote ? L’azote est mis en bouteille par d’énormes usines. Ces bouteilles sont lourdes et coûteuses à transporter. Auriez-vous préféré qu’on procède à un chutage du vin pour le dégazer ? Le vin aurait ainsi dû être pompé ou manipulé afin que le CO2 s’échappe. Sans gaz, il aurait été plus sensible à l’oxydation et il aurait fallu rajouter du SO2.
Notre philosophie en cuverie est de limiter au maximum les intrants. Le Beaujolais Nouveau est le vin pour lequel nous utilisons le minimum de technique et de chimie. Le vin est un produit naturel de consommation. Le raisin est récolté, pressé, cela fermente dans une cuve ou un fût, et on le met en bouteille. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Un vin est fait pour être bu. C’est une évidence que l’on a souvent tendance à oublier. Exactement comme une pomme est faite pour être mangée. Elle pousse sur l’arbre, mûrit, elle est récoltée puis mangée.
Cette année, il est possible que l’on ressente une fraîcheur plus importante que les autres années. Quoi de plus logique car il y a eu moins de soleil, et donc on va retrouver plus d’acidité. Avec son millésime, un vin garde en mémoire toute la météo de la saison. Grâce à cela, c'est un formidable témoin de l’évolution de notre climat. Si vous souhaitez un vin lisse, identique quelque soit l’année, vous en trouverez dans tous les supermarchés. C’est très facile à faire : il suffit de corriger le pH avec un peu de bicarbonate de potassium. Rendre un vin lisse et buvable est aujourd’hui plus simple que de rendre Kim Kardashian instagrammable ! Faire des vins techniquement propres ne m’intéresse pas. Je défends des vins de terroir, qui expriment le sol d’où ils viennent et leur année de naissance.
Armand Heitz
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