Rencontre avec Gautier Capuçon
Publié par Armand Heitz leGautier Capuçon est un véritable ambassadeur du violoncelle d'aujourd'hui. Il se produit chaque saison avec les chefs et instrumentistes les plus renommés. Mondialement reconnu pour sa musicalité si expressive, sa virtuosité et la sonorité profonde de son violoncelle Matteo Goffriller de 1701 "L'Ambassadeur", il est également le fondateur et directeur artistique de la Classe d'Excellence de Violoncelle de la Fondation Louis Vuitton à Paris. Grand amateur de vins, et notamment de Bourgogne, il se produit régulièrement au festival Musique & Vin au Clos Vougeot.
L'interview "Chassagne-Montrachet 1er Cru Maltroie 2018"
Pouvez-vous nous décrire comment vous dégustez ce Chassagne-Montrachet 1er Cru Maltroie 2018 ?
C’est la fin de la journée, environ 19h45. Un moment très agréable, je me pose avec ce vin que j’ai ouvert depuis plus de vingt-quatre heures pour qu’il respire. Je le déguste dans un verre Riedel Chardonnay, sans pied, que j’aime beaucoup utiliser quand je suis à la maison. Il a un côté moins cérémonial mais il est magnifique et permet de vraiment ressentir tous les arômes. Je suis très content de déguster ce Chassagne Maltroie 2018 pour vous répondre.
Selon vous, quelle est l’atmosphère idéale pour boire un bon vin ? Et de quelle manière en consommez-vous généralement ?
J’ai deux manières de déguster. Soit je prends un verre le soir quand je suis chez moi, en dînant avec mes filles ou parfois après avoir dîné. C’est un moment pour moi, très agréable, le temps s’arrête en quelque sorte. Je me relâche des activités de la journée, je trouve que ça permet vraiment d’apprécier un bon vin. La deuxième manière, évidemment la plus importante, c’est d’être en bonne compagnie, parce que c’est une question de partage, d’émotions, et ces émotions-là sont décuplées quand on les partage. Ce sont des moments de grande convivialité, d’expressions de tous les sens.
Un accord musical vous vient à l’esprit en dégustant ce vin ?
Tout de suite, ce qui me vient, c’est la richesse, la sensualité. Je vais rester sur cette immense sensualité en bouche. Je pense à deux pièces qui pourraient très bien s’associer avec ce vin. D’abord avec Après un rêve de Fauré, qui a une grande sensualité et délicatesse. Et également à la Vocalise de Rachmaninov. Alors là, on est dans une sensualité plus slave avec Rachmaninov évidemment. Mais ces deux morceaux, pour des raisons différentes, fonctionneraient à merveille avec ce Chassagne-Montrachet 1er Cru Maltroie 2018.
Comment est venue votre passion pour la musique ?
J’ai découvert la musique quand j’étais tout petit, je suis né dans une famille musicale. J’ai commencé le violoncelle à quatre ans et demi. Mais même avant cela, je voyais ma sœur aînée qui jouait du piano, mon frère qui jouait du violon. Mes parents n’étaient pas musiciens mais de grands mélomanes.
Et celle pour le vin ?
Elle est née un peu plus tard, je vous rassure (rires). J’ai découvert la région des Bordeaux quand j’étais jeune. On dit toujours que le Bourgogne vient plus tard, pour moi effectivement c’est venu un peu plus tard. J’ai eu des parrains assez extraordinaires qui m’ont initié à la Bourgogne. Tout d’abord, Jean-Yves Thibaudet, éminent pianiste, et Charles Dutoit, éminent chef d’orchestre. Tout deux d’immenses musiciens et de grands amis, que je connais depuis que j’ai vingt ans. Ce sont eux qui m’ont initié et fait explorer petit à petit la Bourgogne. Deux parrains de luxe ! Et puis le troisième, c’est évidemment Bernard Hervet, que j’ai rencontré aussi il y a de nombreuses années. Ces trois personnes m’ont fait découvrir le vin, et continuent d’ailleurs, car c’est ça que j’adore aussi dans ce monde, comme celui de la musique, c’est qu’il est infini, merveilleux. Comme la musique, un vin ne cesse jamais d’évoluer, on ne peut jamais tout connaître et je pense que même le plus grand des connaisseurs découvre chaque fois des facettes différentes et toute la multitude des richesses à explorer d’un vin.
Votre meilleur souvenir de dégustation ?
Pardonnez-moi mais je ne résiste pas... (Il boit une gorgée du Chassagne Maltroie) Alors, c’est au domaine de la Romanée Conti. C’était une dégustation extraordinaire, avec Aubert de Villaine, dans le saint des saints, un moment d’une immense magie, d’une immense poésie, guidé par les mots d’Aubert qui ont illuminé la dégustation. Tout comme avec la musique, tout comme avec l’art, avec le vin, on ressent des émotions, et ce n’est pas forcément facile de mettre des mots dessus, alors quand on a un expert avec un cœur qui vous guide avec des mots, c’est merveilleux de pouvoir avoir accès à cet univers de manière éclairée. J’adore ça, et je comprends de plus en plus lorsque je le fais en musique, expliquer, donner quelques mots sur une œuvre, et mettre en lumière, c’est ça qui est magique. Pouvoir donner accès à un monde différent. C’était une dégustation vraiment extraordinaire.
Le lendemain d’une belle dégustation, vous êtes plutôt verre de Meursault ou footing ?
(Rires) Les deux ! Footing d’abord, évidemment, huit à dix kilomètres, le matin. Comme tous les matins d’ailleurs. C’est primordial pour se nettoyer et se remettre en forme. Et pouvoir boire du Meursault !
Vous voyagez beaucoup avec votre métier, cela a dû vous permettre de découvrir les vins et terroirs du monde entier. Lesquels vous ont le plus surpris ?
Effectivement, j’ai eu la chance de découvrir des vins différents, des univers, des manières de faire le vin différentes, des cépages, des climats. Récemment, j’ai bu un Harlan Estate de Californie, Napa, avec un ami en Suisse après un concert. C’était un moment magique, j’avais entendu parler de ce vin depuis très longtemps et je ne l’avais jamais goûté donc j’étais très heureux. En Australie aussi, avec un ami très cher, j’ai pu déguster les Chardonnay Pierro à Margaret River, une véritable merveille ce Chardonnay. En Espagne aussi, Ribera del Duero évidemment, Vega Sicilia. En Italie, Cervaro Della Sala, Antinori, ça j’aime beaucoup aussi. Voilà, des vins différents, et puis le champagne également, j’ai eu la chance de déguster il y a quelques jours encore Champagne Salon, avec notre ami Didier Depond, très belle dégustation. Billecart-Salmon aussi, avec Alexandre Bader, il n’y a pas très longtemps non plus. Et puis évidemment Armand, que je connais depuis quelques années maintenant, je suis très heureux de déguster régulièrement ses vins que j’adore, ses Meursault sont extraordinaires. Là, j’ai choisi de déguster ce Chassagne Maltroie 2018, mais ses Meursault sont magnifiques, rien que d’y penser j’en ai l’eau à la bouche.
La musique et le vin sont souvent associés, on évoque l’émotion qu’ils procurent, la notion de partage, d’harmonie ou encore l’ivresse. Selon vous, le métier de vigneron et celui de musicien se ressemblent-t-ils ?
Ils se ressemblent absolument. C’est une notion de partage comme vous le dites, c’est l’excellence, c’est avant tout notre patrimoine. Ce lien avec la terre, le sol, la simplicité et en même temps l’excellence : tout cela finalement pour partager des émotions. Et la musique c’est ça. C’est pour ça que ce festival en Bourgogne, Musique & Vin, est aussi extraordinaire. On met en lumière ces points communs si forts. La lecture d’un terroir est différente selon le vigneron qui va apporter son âme, son cœur, c’est la même chose en musique finalement. Un même morceau de musique avec un violoncelliste différent et vous aurez un résultat différent. L’ADN est là, mais la manière dont on façonne ce vin, cette musique, ces notes, donne une autre saveur.
Vous avez créé en 2014 une Classe d’Excellence de Violoncelle que vous dirigez depuis chaque année, la transmission est quelque chose d’important pour vous ?
Oui, c’est primordial pour moi. Tout d’abord, c’est savoir à son tour redonner ce qu’on a pu vous donner depuis votre plus jeune âge. J’ai eu la chance d’avoir des maîtres fantastiques, c’est mon tour maintenant de pouvoir faire profiter de mon expérience à des plus jeunes que moi. Encore une fois c’est une question de partage, d’échange, il n’y a rien de plus beau que d’essayer de faire fructifier un talent qui a besoin parfois d’un peu d’aide pour évoluer, pour s’ouvrir, pour fleurir.
Comment vivez-vous la période actuelle ? Cela s’annonce difficile pour quelques temps pour le monde de la musique…
Je la vis très bien parce que je suis actif et positif donc j’essaie de recréer, d’inventer des projets. J’ai fait un disque caritatif Symphonie pour la Vie au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris - Hôpitaux de France, avec un collectif solidaire de musiciens mais aussi d’artistes et personnalités, notamment Plantu, Franck Ferrand, Stéphane Bern, toute une troupe avec une énergie de musique et d’amour en soutien aux soignants. C’était une aventure très riche, qui n’est pas terminée d’ailleurs, le disque sort le 12 juin, et nous allons faire un concert au Théâtre du Châtelet qui sera diffusé le 28 juin en prime time sur France 5. Puis un autre projet, qui est finalement de revenir aux sources et d’aller en toute simplicité à la rencontre du public, des habitants de France, pour retrouver ce lien qui a été très fort pendant le confinement, ce lien vivant. Leur apporter la musique comme un pèlerin, aller dans les villes et villages avec mon violoncelle. Je dis « solitaire mais solidaire », pour un partage, un échange, car je souhaite que cette initiative, cet élan dynamique, soit repris par d’autres musiciens, il faut que la musique vivante revienne. On a besoin de retrouver ce partage de culture qui nous a manqué pendant le confinement, tout en respectant les règles sanitaires et les gestes barrières évidemment.
Pour finir, quel est votre plus beau flacon ouvert récemment ?
Je ne me retiens pas de partager avec vous un flacon extraordinaire qu’on a dégusté dans les caves de la Romanée Conti avec Aubert de Villaine et Bernard Hervet : un Grand Echezeaux 1943. Je vous laisse rêver.
Propos recueillis par Fabrice Pastre
- Tags: interview