Comment résoudre le problème des pesticides en viticulture ?
Publié par Armand Heitz leNoah, Clinton, Othello : non, aujourd’hui je ne vais pas vous parler de tennis, de politique américaine ou de Shakespeare mais bel et bien de viticulture. Ajoutez à ces 3 noms Isabelle, Jacquez (ou Jacquet) et Herbemont, et vous voici avec la liste des 6 cépages interdits à la vente depuis 1935. Un décret de 1956 obligea l’arrachage des vignes. La raison ? Ils produisent des vins qui rendent fous et aveugles. Mon œil oui !
Cet argument sanitaire était fallacieux. Il était reproché un taux de méthanol trop élevé pouvant porter atteinte au nerf optique. Mon second œil ! Des études ont prouvé qu’il y avait moins de méthanol dans ces vins que dans un cidre et largement moins que dans un alcool obtenu par distillation. Est-ce que ça rend fou comme jadis l’absinthe ? Gilbert Bischeri, vigneron passionné et militant, possède une parcelle conservatoire dans le Gard. Il produit 600 bouteilles chaque année avec 70% de Clinton. Il en boit tous les jours depuis 46 millésimes. Je vous invite à discuter avec lui afin de vérifier qu’il n’est pas plus fou que vous et moi.
En 1955 la France produit trop de vin. Il faut restructurer le vignoble. La mode est à l’industrialisation et aux AOC. Le choix est fait de réduire la production paysanne afin de ne pas concurrencer la politique que mettait en place l’INAO (un des nombreux organismes que j’aime tant). Par ailleurs, après la seconde guerre mondiale, l’industrie américaine se recycle en produisant des pesticides. La France a contracté une dette importante auprès des États-unis pour financer l’effort de guerre. Dette que la France va rembourser en achetant des pesticides auprès des industriels Outre-Atlantique. Résultat : nous avons fait marcher le commerce sans savoir les dégâts qu’allaient causer les pesticides. Noah, Clinton, Othello, Jacquet, Herbemont et Isabelle sont résistants aux maladies, n’ont aucune dépendance à des produits phytosanitaires et produisent des rendements importants. Avec toutes les raisons que nous venons de citer, il semblait alors évident qu’il fallait se débarrasser de ces 6 cépages.
Pourtant, c’est beau une parcelle de Noah. Quand Matthieu, qui me seconde sur la production, m’a montré des photos du champ de son grand-père sur lequel se trouvent ces rameaux, j’ai tout de suite été sous le charme. C’est un cépage issu d’un croisement naturel entre le Taylor (Vitis Labrusca x Vitis Riparia) et le Vitis Riparia, avec des raisins blancs très sucrés et acides. Les grappes sont très petites, aérées, nombreuses, et les raisins tombent tout seul à maturité. Bref, il est difficile d’imaginer la nature s’exprimer aussi pleinement.
J’étais très curieux de pouvoir goûter un vin issu de ce cépage, je n’en avais jamais eu l’occasion. Une campagne de dénigrement importante sur le goût de ces vins avait eu lieu lors de l’interdiction. Il était question notamment de goût « foxé », que beaucoup entendent comme « pipi de renard ». Je vous invite à regarder le documentaire Vitis prohibita et vous découvrirez que cette légende s’est construite sur une erreur de traduction. En réalité, foxé ne sous-entend pas du tout un goût de pipi de renard mais plutôt un côté un peu sauvage. Les arômes que l’on peut déceler sont ceux de fraise des bois et des épices. C’est très amusant car il s’agit d’une palette aromatique que j’adore retrouver sur mes vins issus de vendanges entières.
Au-delà du goût, l’aspect agronomique devrait inciter les institutions à revoir leur copie et les connaisseurs de vins à se pencher sur l’injustice qu’on subit ces 6 cépages. La viticulture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui nécessite l’utilisation de machines et de pesticides. Nos résistants, Noah, Clinton, Jacquez, Isabelle, Othello et Herbemont ont été bannis pour des choix politiques et économiques. Il est incroyable au vu de la crise écologique que nous vivons qu’ils ne soient pas au centre du débat pour une viticulture durable. Aujourd’hui encore, nos institutions maintiennent leur interdiction. Ces cépages sont une preuve historique irréfutable qu’ils préfèrent polluer notre planète et notre santé à des fins économiques.
Grâce aux raisins de Noah récoltés par Matthieu le dimanche 18 septembre 2022, nous avons pu produire la cuvée Noah 2022. Une production de 50 bouteilles, plus rare que de la Romanée-Conti ! Le juste prix de cette bouteille serait selon moi d’évaluer les dégâts causés sur nos terres et notre santé par les 60 années de pesticides viticoles. Je vous laisse estimer le coût de la réparation. De toute façon, je n’ai pas le droit de vous en vendre. Pour ceux qui souhaitent malgré tout défendre les intérêts de la nature, vous pouvez nous contacter sur ce mail fabrice@armandheitz.com
Armand Heitz
Photos © Jib Peter / Yvette Charret (image affiche interdiction 1956) / Gilbert Bischeri (grappes des cépages interdits issues de sa parcelle conservatoire dans le Gard)
- Tags: agronomie, vigne & vin