Le panier
Photographie du vignoble Bourgogne vue de drone

La conquête du Pinot Noir et du Chardonnay

Publié par Armand Heitz le

Avant les années 60, les vignes en Bourgogne étaient plantées d’une diversité de cépages plus ou moins qualitatifs mais chacun avait un rôle à jouer. Aujourd’hui, le constat est frappant. Le Pinot Noir et le Chardonnay dominent très largement et ce, avec l’utilisation de clones identiques. Le dernier épisode de gel montre les limites de cette uniformisation face aux évolutions des conditions naturelles. Il est nécessaire aujourd’hui de comprendre l’histoire de l’encépagement en Bourgogne et surtout de se poser les bonnes questions car nous le savons : la Nature ne s’adapte jamais à l’Homme. À nous de l’observer et de s’adapter à elle pour pérenniser notre activité.

Nature morte d'une grappe de Pinot noir

Le Pinot Noir, un cépage parmi tant d'autres en Bourgogne

En Bourgogne, il faut remonter en 1366, pour trouver la première mention de Pinot Noir dans l’Auxerrois par l’Archevêque de Sens. Ou encore, en 1380, où l’on trouve les premières traces, sur des documents officiels, de Pinot Noir dans le Nord du Royaume de France dont Dijon, Rouen, Bourges, Amiens…

Les travaux de Dupré de Saint Maur en 1780 recensent la présence de 29 cépages à Dijon et de 8 cépages à Beaune. Pour l’anecdote, on relève du “Saulvoignien” à Chassagne-Montrachet ou encore de “Treceau” dans l’Auxerrois en 1383.

Les vins sont à cette période valorisés par l’indication géographique de la ville alors que les cépages, divers et variés, ne sont pas des éléments clés dans la valorisation du vin.

Le Duché de Bourgogne, un rôle d'ambassadeur ou de dictateur ?

Le XIVème siècle marque un tournant dans l'encépagement du vignoble en Bourgogne avec l’ordonnance de 1395. C’est lors de cet ordre que le Gamay est considéré de “nuisible”, “déloyal” et les “marchands en sont déçus”. Il est donc sous-entendu que le Pinot Noir est meilleur et est apprécié par les élites de l’époque. C’est le point de départ de l’essor du mono-cépage en Bourgogne avec la domination du Pinot Noir.

Ducs de Bourgogne

Mais pourquoi une telle ordonnance et une telle sanction pour le Gamay relégué sur les vols volcaniques du Beaujolais au Sud ? Il est important de rappeler qu’à cette époque la fiscalité des villes dépendait, parfois jusqu’à 50%, des taxes viticoles. En parallèle, le Duc de Bourgogne cherchait à affirmer son pouvoir ducal face aux villes dirigées par de riches familles. En interdisant le Gamay, le Duc vient déstabiliser l'économie locale et notamment ces familles qui étaient à la tête de l’économie locale. Le Duc augmente ainsi la pression fiscale et il est donc dans son intérêt économique de défendre une viticulture plus élitiste.

Le vignoble actuel est donc le résultat d’une construction sociale induite par le négoce et les décisions ducales. 

L'essor de super-Pinot Noir et super-Chardonnay

C’est en toute logique qu’au XVIIIème siècle, on observe le déclin de la diversification de l’encépagement au profit de cépages principaux, notamment le Pinot Noir et le Chardonnay qui ont été clonés pour répondre au mieux aux attentes du marché : plus de production, une résistance aux maladies, des tanins plus fins…

La crise du phylloxéra combinée à la création du système des appellations d’origine contrôlée dès 1936 en Bourgogne ont fortement contribué à l’éradication de la diversification des cépages que l’on pouvait trouver dans le vignoble.

Le Pinot Noir et le Chardonnay sont devenus des cépages plébiscités par les consommateurs et le marché car oui, les vins de Bourgogne inspirent et font rêver. Mais au prix d’une uniformisation du vignoble qui va bien au-delà des frontières. L’Aligoté résiste en Bourgogne et bénéficie d’une belle reconnaissance récente grâce au mouvement des Aligoteurs.

Selon les sources de l’OIV, le Chardonnay est le cépage le plus planté au monde, soit plus de 200 000 hectares dans plus de 40 pays et le Pinot Noir sur plus de 110 000 hectares dans plus de 18 pays. Une hégémonie qui vient au détriment des cépages que l’on nomme modestes et oubliés. 

Quelles seraient les pistes pour sortir la tête de l'autruche de son trou ?

Les actions de l’homme impactent le cours de l’évolution des conditions naturelles mais la Nature prendra toujours le dessus. Un épisode de gel, de la grêle, une épidémie… Lutter contre elle, c’est un remake de David contre Goliath.

Les règles strictes des AOC protègent un patrimoine classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO en Bourgogne, mais attention à ne pas ancrer dans le marbre et figer les règles qui sont par essence même liées à une Nature qui est en perpétuelle évolution.

Sauvignon à proximité de Chassagne-Montrachet Armand Heitz

Autoriser de nouveaux cépages dans le cahier des charges des AOC serait une première piste. Une parcelle plantée en Sauvignon Blanc en Bourgogne doit être en dehors de l’appellation alors qu’au 14ème, nous trouvions ce cépage à Chassagne-Montrachet moins gélif car plus tardif. Le conservatoire des anciens cépages bourguignons, lancé en 2016 par le GEST (Groupement d'Etude et de Suivi des Terroirs) étudie une cinquantaine d'anciens cépages locaux. L’objectif est de préserver ces cépages autrefois cultivés en Bourgogne, et surtout les étudier pour évaluer leur adaptation aux changements climatiques. Une porte ouverte vers de nouvelles perspectives d’évolution qui seront à associer aux changements des mentalités sur ce sujet.

Éduquer les consommateurs à déguster et découvrir les cépages modestes et oubliés est vital pour la valorisation de nos vignobles. Il suffit d’observer l’essor des vins du Nouveau Monde avec les vins issus d’une poignée de mono-cépages. Un Chardonnay, un Merlot ou un Pinot Noir rassure le client lorsque l’histoire d’une région viticole française ou un système d’AOC viennent à manquer dans ces nouveaux vignobles. Voilà, une démonstration frappante de cette hégémonie de quelques cépages ! Ce manque de diversité fragilise l’écosystème et le vignoble n’a pas les ressources suffisantes pour résister aux menaces. Sur les 8000 variétés de viti vinifera au monde, seules une dizaine couvre le vignoble mondial ! Si nous parlions d’humains, cela serait choquant et inacceptable, pourquoi ne le serait-ce pas pour des cépages et un vin que nous prenons plaisir à boire et partager ?

 

Marie-Pierre Dardouillet / Agence Cépages Communication



Sources :

Pinot simple cépage ? JP Garcia, T. Labbé, G. Grillon de l’Université de Bourgogne

OIV

 

Article précédent Article suivant