Elle habille les coteaux des vignobles tout l’été, se déguste farcie en dolmas tout autour de la Méditerranée, et soustrait aux regards quelques nudités d’apollons que le Concile de Trente avait jugées un peu trop païennes : la feuille de vigne est partout.

Elle est également riche en tannins, une particularité assez intéressante pour tenter une expérience de teinture végétale, et puisque l’histoire n’est qu’un éternel recommencement, en habiller Armand.

J’ai profité de l’ébourgeonnage à la fin du printemps, lorsque l’on ôte à la vigne tout ce qui accaparerait inutilement la sève, pour récolter 1500 grammes de feuilles, appellation Pommard 1^er cru Clos des Poutures — monopole du Domaine.

Au commencement il a fallu extraire la matière tinctoriale de la plante. Hacher les feuilles, préparer une décoction géante dans 25 litres d’eau, filtrer. Le lendemain j’y ai plongé un drap de lin ancien que j’avais mordancé dans un bain d’alun. Aux premières ébullitions l’étoffe attrapait bien les nuances de jaune. Mais la couleur est venue, puis a pâli. À la sortie du bain, le drap était jaunâtre, quelque chose en avait mangé le premier éclat.

Dans mes livres je n’ai trouvé aucun écrit relatif à cette teinture. Ce sont les anthocyanes contenus dans le raisin qui attirent l’œil des coloristes, pour le rouge gourmand qu’ils renferment, alors qu’ils présentent une très faible résistance à la lumière sur le tissu. Ils sont employés dans l’industrie alimentaire et la cosmétologie (et laissent, hélas, d’increvables auréoles bleuâtres sur vos plus belles nappes blanches !).

C’est un réflexe de teinturière qui a sauvé la couleur. Le pH du bain de teinture était trop acide. La vigne donne donc bien de la couleur mais elle produit aussi de l’acidité qui empêche l’expression de cette couleur. Rien d’insurmontable, deux petites cuillères de bicarbonate de soude ont fait remonter le pH à 9. La décoction a repris immédiatement une belle couleur de miel (de miel de vigne !), et le drap replongé dedans : aussi. La couleur était sauvée !

Une seule espèce offre une multitude de nuances selon la concentration de plantes, la nature du textile, le pH, le type de mordançage. On peut encore intervenir après la teinture. Après concertation avec Armand, j’ai nuancé le jaune – miel de vigne dans un bain contenant du fer qui, en réaction aux tannins de la plante, fonce ou grise les couleurs, pour obtenir un vert un peu doré.

C’est une épreuve délicate parce que le bain de fer ne fait pas dans la nuance, lui. En y laissant le drap teint longtemps mais dans une faible concentration de fer, la couleur s’est nuancée doucement.

Une fois ma mission accomplie, le drap de lin lavé (en machine à 30°) et séché, je l’ai transmis à Agnès, couturière à Givry. Elle a ainsi pu confectionner avec ce drap teint un knikers pour Armand. Une opération délicate pour ce vêtement peu commun, réalisée à la main et à la machine à coudre, avec des poches paysannes à l'arrière. Un knikers naturel dans une matière noble et recyclée.

Encore quelques finitions à achever et Armand pourra arborer son knikers tout l'été !

Blandine Bacconnet